Les pères de la samba
Publié le 27 Décembre 2012
Comme pour le vin, c'est avec le temps qu'on reconnaît les grands artistes de ceux qui sont seulement que bons. Les bons, passés les vertes années de jeunesse, sont gâtés par le succès - ou par la frustration - et tournent au vinaigre. Et il y a les grands, qui avec le temps, dans l'ombre ou la lumière, affinent leur bouquet et révèlent tous leurs tanins. Mais trêve de métaphore viticole, car c'est plutôt de cachaça qu'il conviendrait d'accompagner cet article dédié aux pères de la samba.
Voici une génération de musiciens nés dans les 1900-1920, qui ont créé la samba telle qu'on la connaît aujourd'hui. Ils sont derrières tous les grands classiques, mais n'avaient souvent pas enregistrés leurs propres compositions. Leurs sambas leur étaient achetées par des chanteurs de charme qui posaient leurs voix pleines de trémolo sur des arrangements, non dénués de cachet, mais qui ont aujourd'hui passablement vieillis.
Or, à la fin des années 60 et durant les années 70, beaucoup de ces compositeurs des premières heures, parfois tombés sinon dans l'oubli, du moins dans l'indifférence, vont enfin graver leurs propres chanson. Souvent à l'initiative de producteurs ou de journalistes passionnés ils foulent les studios, parfois pour la première fois
Voici donc quelques-uns de ces enregistrements-testaments de ces pères de la samba. Agés de 60 à plus de 70 ans, la voix un peu fatiguée parfois, mais avec plus de coeur et d'âme que jamais !
Commençons par celui qui est peut-être le plus grand des sambistes. Celui qui n'aura cessé de chanter qu'un unique thème toute sa vie: la séparation amoureuse. Mais ici, Cartola est au seuil de sa vie et ne chante plus une simple rupture, mais la fin d'un amour qui sera causé par la Mort qu'il sent approcher.
Cartola - Autonomia (Documento Inédito, 1980, enregistrement de 1979)
É impossível nesta primavera, eu sei
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Ce printemps est impossible, je le sais Asservir ainsi un pauvre cœur |
Aux côtés de Cartola avec lequel il avait fondé l'école de samba Mangueira, un autre très grand nom de la samba de Rio, Nelson Cavaquinho. Difficile de trouver une chanson gaie dans l'oeuvre de cet homme blessé. Ecoutez cette magnifique chanson qu'il avait offert à la meilleure chanteuse de la relève musicale qu'on commençait à appeler MPB, Elis Regina.
Nelson Cavaquinho - Folhas secas
Traduction de folhas secas (feuilles mortes)
Quando eu piso em folhas secas Não sei quantas vezes Que não posso mais cantar Sei que vou sentir saudade Ao lado do meu violão Da minha mocidade |
Quand je marche sur des feuilles mortes
Quand le temps m'annoncera |
*Références au nom de l'école de samba, Estação Primeira de Mangueira
Donga est notamment célèbre pour être l'auteur de la première samba enregistrée, en 1917! Encore actif en 1974... dans un album qu'il enregistra à 83 ans! Quelle grâce!
Donga - Cinco De Julho (A Música De Donga, 1974)
Clementina de Jesus est la reine du partido alto et possède un timbre de voix unique. Pour l'anecdocte, elle avait travaillé plus de 20 ans comme domestique avant de connaître la gloire comme chanteuse du groupe Rosa de Oro.
Clementina de Jesus - Marinheiro só (1973). La meilleure interprétation de ce grand classique issu du répertoire traditionnel. Une bonne illustration des racines bahianaise de la samba carioca!
Clementina de Jesus avec Pixinguinha, génie universel de la musique, qui au jeu 7 familles famille serait non le père mais plutôt le grand-père de la samba.
Clementina de Jesus, João da Bahia e Pixinguinha - Batuque Na Cozinha (Gente da antigua, 1968).
Ismael Silva est un autre très grand nom de Rio. On lui doit notamment la création de la première école de samba (Deixa falar) et surout la création de la rythmique propre à la samba. Il connut une longue traversée du désert à partir des années 40, notamment après avoir purgé deux ans de prison ferme et ne fut reconnu que tardivement à sa juste valeur.
Ismael Silva- Arrependido (avec Cristina Buarque).Traduction:
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J’ai tout fait |
Quittons Rio de Janeiro pour São Paulo avec deux de ces plus grands auteurs-compositeurs.
Adoniran Barbosa a commencé à travailler à 10 ans et fut toute sa vie l'interprète fidèle du peuple de sa ville. En dépit de nombreux succès notamment interprété par les Demonios de Garoa, ce n'est que dans les années 70 qu'il fut reconnu. Il nous chante avec sa gouaille légendaire, toute la beauté tragique du vieux sambiste. Il est pareil à une braise éteinte mais il ne suffirait que d'un souffle pour qu'elle brûle à nouveau!
Adoniran Barbosa - Já fui uma brasa (Adoniran Barbosa, 1974)
Traduction de Silvio
Eu também um dia fui uma brasa Eu gosto dos meninos destes tal de iê-iê-iê, porque com eles, |
Moi aussi autrefois j'étais une braise J'aime bien les jeunes de ce yé-yé parce qu'avec eux, *Célèbre chanson d'Adoniran Barbosa |
Paulo Vanzolini est un cas à part. Sambiste de très grand talent, peintre délicat des sentiments, c'était aussi un intellectuel et un scientifique illustre. Témoin de sa célébrité de zoologue, une dizaine d'espèces portent son nom!
Paulo Vanzolini - Bandeira de guerra (Paulo Vanzolini Por Ele Mesmo)
Traduction: La france qui samba.
Foi numa esquina da vida Minha bandeira de guerra, |
Ce fût dans un de ces tournants de la vie, une femme paumée, un homme au point mort. Sur la base de cet impair et mauvais début, a commencé à naître, contre la volonté, cet amour tourmenté. Tu m'admires avoir vaincu, qui aurait dit que la folie durerait plus d'un jour. En vérité, qui aurait dit que j'apercevrais la lumière du jour. Mais maintenant que nous avons vaincu, tourmenté, je m'étale à la vue de tous et personne ne me retient. Femme, puisque Dieu le veut, allons-y. Mon étendard de guerre, ma lutte pour la survie, mon droit d'être quelqu'un. |
Le plus grand de Bahia, Dorival Caymmi bien sûr! Lui qui connut des succès internationaux, notamment porté par la voix de Carmen Miranda, est surtout l'auteur de ballades intemporelles qu'il a enregistré accompagné de sa seule guitare.
Dorival Caymmi en 1972 sur TV Cultura (45 min d'émission)
Batatinha est un des maîtres de la samba de roda. Contrairement aux sambistes de Rio, ou même au bahianais Dorival Caymmi qui émigra très vite à Rio, Batatinha ne connut jamais vraiment le succès. Il gagnait sa vie comme graphiste et plaçait de temps en temps une samba auprès d'interprètes. Ce n'est également que vers la fin de sa vie qu'il a pu enregistrer ses chansons. Lisez le beau portrait qu'a consacré Oliver Cathus à ce maître de délicatesse, de simplicité et de poèsie qu'était Batatinha.
Batatinha - Diplomacia (Samba de Bahia, 1973 ou 1975)
Traduction de Diplomacia :
Meu desespero ninguém vê Sou diplomado em matéria de sofrer Falsa alegria, sorriso de fingimento Alguém tem culpa desse meu padecimento Sofrimento e padecer Todos lamentam mas só eu sei responder
Luto por um pouco de conforto Tenho o corpo quase morto Não acerto nem pensar Mesmo com tanta agonia Ainda posso cantar |
Personne ne voit mon désespoir Je suis diplomate en matière de souffrance Fausse joie, sourire feint Quelqu’un est responsable de ma douleur Souffrance et peine Tous compatissent mais moi seul sais réagir J’ai le corps presque mort Je n’arrive pas à réfléchir Même avec avec tant d’angoisse Je peux encore chanter |
Candeia est un véritable colosse. Colosse brisé par un accident qui le cloua sur un fauteil roulant. Mais colosse néanmoins qui toute sa vie chanta la lutte, la dignité, et la fierté. Ce fut un des premiers à s'élever contre la commercialisation du carnaval de Rio et un ardent défenseur de l'identité de l'authentique samba carioca.
Candeia - Brinde ao cansaço (Samba de roda, 1975)
Ederaldo Gentil est une de ces pépites cachées de la samba bahianaise qui n'aura jamais vraiment eu le succès qu'il méritait. Car la beauté prospère rarement à la lumière mais vit cachée, simple et modeste, ne s'offrant qu'à celui qui prend la peine de la chercher. C'est justement le thème de cette samba.
Ederaldo Gentil - O Ouro e a madeira
Não queria ser o mar Não queria ser o dia O ouro afunda no mar |
Je ne voudrais pas être la mer
L’or coule au fond de la mer |
Pour conclure cet article, revenons à Cartola avec lequel nous avons débuté. Lui qui a passé toute sa vie dans l'ombre d'interprètes moins méritant, à cumuler petits boulots ingrats et qui a connu des périodes de véritable misère, a eu le triomphe tardif, aux bras de son dernier amour, Zica. Ecoutons le chanter la vieillesse heureuse et sans regrets.
Cartola - O inverno de meu tempo (Documento inedito, 1982)
Traduction
Surge a alvorada E os sonhos do passado Nossas vidas Já não sinto saudade |
L'aube apparait Et l'hiver de ma vie commence
Et je me sens heureux |